L'ornithorynque : un vrai spécial
Assemblons ceci : pattes palmées comme la loutre avec griffes de mouffette, queue de castor, bec de canard, corps de rat musqué, abajoues de tamia, nid rempli d’œufs et venin. On obtient? Un animal tellement étrange que lors de sa découverte, à la fin du 18e siècle, les scientifiques ont cru que c’était une blague*. On te présente un des (nombreux) trésors nationaux australiens : l’ornithorynque.
Un vrai spécial
Ce look inusité fait de l’ornithorynque une puissance de l’adaptation évolutive. D’abord, ce mammifère semi-aquatique n’a rien à envier à nos castors. Son pelage brun** emprisonne l’air entre ses poils pour le tenir au chaud. Sa large queue plate, une réserve de graisse, lui sert de gouvernail lorsqu’il nage. Ses pattes sont munies de longues griffes (c’est un fouisseur) et de membranes de peau. La palmure sur ses pattes avant dépasse même ses griffes pour une meilleure propulsion dans l’eau.*** En plus, l’ornithorynque possède ce fameux bec corné. C’est en fait un organe sensoriel, qui remonte jusque sur son front et qui est recouvert de récepteurs qui permettraient de détecter ses proies dans l’eau. Ses yeux et ses oreilles sont situés juste au-dessus, dans des cavités qui se referment lorsqu’il nage, le rendant momentanément aveugle et sourd, d’où l’importance de ce museau extraordinaire.
Normal, mais pas normal
Endémique de l’Australie, on le retrouve uniquement sur la côte est du pays et sur l’île de Tasmanie. Ses habitats de prédilection sont les milieux humides et les petits cours d'eau, souvent plus frais que chauds. Ce chasseur nocturne creuse un terrier dans la berge**** où il se repose pendant la journée, à l’abri du lourd soleil australien.
Après l’accouplement, qui a lieu dans l’eau, la femelle construit un nouveau terrier, plus sécuritaire, où elle installera des feuilles, des branches et des herbes pour y pondre ses œufs. Oui, oui, tu as bien lu. L’ornithorynque n’est pas seulement unique d’apparence, il est aussi un des seuls mammifères qui pondent des œufs. C’est la femelle seule qui couve et élève les petits. Elle produit du lait, mais pas par des mamelons, comme les autres mammifères (ça serait trop simple), mais bien directement par les pores de sa peau. Les bébés ornithorynques lèchent donc le pelage de leur mère, perlé de lait, pour se nourrir.
À l’âge adulte, les ornithorynques sont de prolifiques chasseurs. Ils passent en moyenne 12 heures par jour dans l’eau à se remplir les abajoues de petits crustacés, de vers et d’insectes aquatiques au fond de l’eau qu’ils vont ensuite manger sur la rive. Ils ramassent par le fait même de la boue et des roches. Comme ils n’ont pas de dents, ils se servent de ces sédiments pour broyer leur nourriture, un peu comme les oiseaux. Miam, une bonne bouchée de bouette! 😊
À l’extérieur de l’eau, ils sont vulnérables. Ils doivent rester attentifs aux varans, aux serpents, aux rakalis (ou rats d’eau australiens) et aux rapaces. Les ornithorynques mâles sont munis d’un aiguillon venimeux*****, situé sur leur cheville. On ne se sait toujours pas si cet appendice lui sert pour se défendre, car la glande à venin est active seulement en période de reproduction. Alors, vaut mieux qu'il reste dans son terrier pour être à l’abri.
Des problèmes, tout le monde en a
L’ornithorynque a longtemps été chassé pour sa fourrure. Aujourd’hui cette pratique est interdite, mais les pressions restent importantes sur cet animal. L’introduction du renard en Australie, pour contrôler les populations de lapins aurait eu un impact sur les ornithorynques. En plus, l’assèchement des milieux humides pour le développement urbain, l’agriculture et l’industrie forestière, puis la construction de barrages ont contribué à la diminution et la dégradation de son habitat, sans compter la pollution et la mauvaise qualité de l’eau. D’ailleurs, ça n’aide pas que l’aire de répartition de l’ornithorynque concorde parfaitement avec les régions les plus habitées de l’Australie. S’ajoutent à la liste des menaces pour notre petit spécial les violentes tempêtes tropicales qui modifient les berges par érosion et les sécheresses à répétition aggravées par les changements climatiques.
Selon certaines études, les zones d’habitat typique de l’ornithorynque ont diminué de 22 % dans les 30 dernières années. Malgré cette alarmante constatation, l’ornithorynque n’est pas encore listé comme une espèce menacée en Australie, mais bien comme « quasi menacée » (ici, on dirait qu’il est susceptible d’être vulnérable ou menacé). Pourtant, la valeur de l’ornithorynque est sans contredit : emblème non officiel du pays, animal iconique dans le monde et élément central des traditions autochtones. Et on ne parle pas ici de sa valeur écologique, son unicité évolutive et de son rôle dans le maintien des écosystèmes aquatiques, comme prédateur et fouisseur. Heureusement, de nombreux programmes de conservation sont en place et certains territoires, dont l’Australie-Occidentale et Victoria, l’ont enfin déclaré comme espèce menacée. Espérons que les autres leur emboiteront le pas dans un futur proche.
NOTES
* C’est une vraie histoire. Parce que son apparence était si étonnante, les naturalistes de l’époque croyaient qu’un farceur avait posté le bec d’un canard attaché au corps d’une loutre en Australie pour jouer un tour. Ce n’est qu’après des examens laborieux du premier spécimen trouvé que le zoologiste anglais George Shaw a conclu que c’était là un véritable quadrupède, aussi bizarre soit-il! Pour assouvir ta curiosité, voici le premier dessin qu’il en a fait.
** Apparemment, lorsque le poil de l’ornithorynque est sous une lumière ultra-violette, il absorbe les UV au lieu de les réfléchir et devient fluorescent. Cette bioluminescence pourrait faciliter son camouflage contre la prédation nocturne.
*** C’est un des seuls animaux à nager en utilisant presque uniquement ses pattes avant dans un mouvement d’alternance. Gauche, droite, gauche, droite... Ses pattes arrière restent le long de son corps pour le stabiliser dans l’eau.
**** Les ornithorynques sont territoriaux. Un mâle, spécialement pendant la période de reproduction, pourrait protéger une section de berge qu’il partagerait avec quelques femelles.
***** Le venin des ornithorynques n’est pas mortel pour les humains, mais il est ô combien douloureux de se faire piquer par ces créatures. Il peut provoquer une paralysie temporaire des jambes. À ce jour, on ne connaît pas d’antidote. On attend que ça passe. On dit que leur venin pourrait être mortel pour un petit animal.
Par Anne Frédérique, chargée de conception