Connectivité versus fragmentation
Quand on roule sur la 20 entre Montréal et Québec, on est frappé par l’abondance des champs. Y’en a partout. Ces champs englobent des boisés de différentes tailles qui constituent des habitats résiduels. Pourquoi résiduels? Parce qu’avant qu’il y ait des champs à la grandeur des basses-terres du Saint-Laurent, il y avait là une forêt. Les forêts de feuillus du sud du Québec ont graduellement été coupées pour faire de la place aux terres agricoles. Avec une telle fragmentation de l’habitat forestier, on peut se poser des questions sur les conséquences pour les populations animales et végétales.
Le paysage ici est composé de parcelles qui sont différentes dans leur composition (ce qu’on retrouve dedans), dans les processus écologiques qui s’y déroulent et dans leur organisation spatiale (leur position les unes par rapport aux autres). Par contre, il existe des relations entre ces parcelles qui permettent aux écosystèmes de fonctionner, indispensables à leur stabilité et (surtout) à leur résilience. Ces relations sont possibles grâce à la connectivité entre les milieux. Les connections entre les parcelles permettent entre autres la migration ou la dispersion des espèces dans la mosaïque paysagère. Elle favorise aussi la diversité génétique entre les populations d’une même espèce. En facilitant le mouvement entre les parcelles, les corridors de connectivité augmentent la richesse du paysage. Lorsqu’un paysage est fragmenté, ou lorsque les liens entre les parcelles n’existent plus, les écosystèmes sont débalancés.
Si on revient à nos champs autour de la 20. Certaines espèces de passereaux, comme le roitelet à couronne rubis, qui a besoin d’un habitat loin des bordures, voient leur succès reproducteur diminuer lorsqu’ils font face à la fragmentation. Les espèces qui nichent au sol, comme la grive solitaire, sont plus susceptibles à la prédation souvent plus forte près des lisières comparativement à l’intérieur des forêts. Mais il n’y a pas que les passereaux qui trouvent ça plate la fragmentation. Pense à un poisson qui ne peut plus accéder à sa frayère à cause d’un barrage, par exemple. Il trouve ça plate aussi… Ces barrières écologiques pourraient* être une des premières causes de la diminution de la biodiversité.
Dans un paysage fragmenté, la taille des parcelles, leur distance les unes des autres, leur structure et composition, leur richesse (et leur connectivité, s’il y en a), tout ca importe. Selon leurs caractéristiques, les individus, les populations et les espèces seront affectés différemment par la fragmentation de leur habitat. Leur vulnérabilité dépendra de leur capacité d’adaptation et de leur dépendance à la structure du paysage. Un animal avec un très grand territoire sera probablement plus affecté. Et selon l’échelle à laquelle on considère la fragmentation, elle aura plus ou moins d’impact. Pour une corneille, l’autoroute 20, c’est rien, elle peut facilement voler au dessus tandis que pour une salamandre, la 20, c’est une autre affaire.
La fragmentation peut causer des perturbations importantes, entre autre à cause de l’effet de lisière et qui pousse les espèces à reculer ou disparaître. D’ailleurs, il existe une panoplie de types de fragmentation. Les barrières matérielles, comme les zones agricoles autour de la 20 et l’autoroute elle-même, l’aqueduc, les barrages et les zones urbanisées. On oublie souvent les pesticides étendus dans les champs, les odeurs comme celles laissées par un chien ou un humain, les perturbations sonores et lumineuses. On appelle ça les barrières immatérielles.
La fragmentation du territoire est un phénomène fréquent. L’impact de la division du paysage naturel sur les espèces, autant sur les passereaux que sur les plantes dont les graines se dispersent par le vent, varie en fonction de l’écologie des populations touchées. Mais une chose est sûre, c’est que la connectivité favorise la santé des écosystèmes et que plus il y a de fragmentation, moins il y a de connectivité. Fais le calcul.
Pas de panique, il y a déjà des experts qui travaillent fort pour conserver, restaurer, protéger ces paysages fragmentés et donner toutes les chances aux espèces qui s’y trouvent. Les écoducs sont de fascinantes installations et une alternative aux corridors écologiques naturels perdus. En milieu urbain, la conservation des espaces verts et la création de corridors verts et bleus aident à maintenir minimalement des corridors pour le déplacement des insectes. Même ta cours peut aider au maintien de corridor de plus petite échelle, entre autres pour les pollinisateurs. Vas-y, sème!
NOTES
* On dit « pourrait » parce qu’il n’y a rien de prouvé. On sait toutefois que la fragmentation a des effets terriblement néfastes pour un grand nombre d’espèces, tant animales que végétales.
Ce projet a été rendu possible grâce à la contribution de la Fondation de la Faune du Québec et au soutien financier d’Hydro-Québec.