La spéciation : une rupture évolutive

14/2/2025
Vedette du mois

La rainette faux-grillon de l’Ouest, cette petite cutie masquée - qui ressemble un peu d’ailleurs à notre autre grenouille masquée, la grenouille des bois - n'a pas la vie facile. En plus d'être menacée à l'échelle provinciale et fédérale, elle vit possiblement une crise d'identité! Sans blague!

Elle s’appelle légalement la rainette faux-grillon de l’Ouest, oui, mais des analyses génétiques ont révélé que certaines populations du sud-ouest du Québec et de l’est de l’Ontario pourraient être une différente espèce, soit... Des rainettes faux-grillon boréales - Dundunduuuuun!

Ces deux espèces sont distinctes, mais pourtant très similaires – tellement que des pros ont souvent de la difficulté à les différencier! Leur ressemblance laisse supposer qu’elles sont probablement étroitement reliées. (Attention à cette supposition, car il ne faut pas oublier la convergence évolutive! Dans ce cas-ci, elles sont bel et bien étroitement reliées.) Comment ont-elles alors divergé? Comment se fait-il qu’un ancêtre commun puisse produire deux espèces distinctes? C’est un phénomène qu’on appelle la spéciation.

Rainette faux-grillon de l'Ouest
Rainette faux-grillon boréale

L’incompatibilité amoureuse, une recette simple

Il y a plus d’une façon pour qu’une telle divergence puisse arriver, mais à la base, chez les espèces à reproduction sexuée*, on a besoin de deux ingrédients :  

  1. L’isolation génétique : il faut que deux groupes d’une même espèce cessent de se reproduire entre eux pour éviter qu’ils se partagent toute mutation génétique qui pourrait survenir (car c’est l’accumulation de mutations génétiques différentes qui pourrait commencer à distinguer un groupe de l’autre).  
  1. Le temps : il faut que cette isolation dure assez longtemps pour que l’évolution prenne son cours! Si assez de temps passe pour permettre à assez de différences (ou mutation génétiques) de s’accumuler, les groupes ne pourront plus se reproduire entre eux – tu te souviens du concept biologique d’espèce**?

Les aléas des relations à longue distances

Il n’y a pas de façon plus facile d’isoler deux groupes qu’avec une barrière géographique! C’est exactement ce qui se passe dans le cas de la spéciation allopatrique*** (du grec ancien « allos » et « patris », signifiant « autre » et « patrie », respectivement). Imaginons, par exemple, un cas fictif où des souris d’une même espèce habitent un territoire montagneux enneigé. Le climat se réchauffe et la neige fond progressivement. La vallée entre des montagnes A et B se fait inonder et crée une rivière permanente. Les souris de la montagne A ne peuvent plus traverser la vallée et sont dorénavant isolées des souris de la montagne B. On a maintenant une recette gagnante pour que les deux populations de souris évoluent séparément. Il ne reste plus que le passage du temps et un peu de hasard!  

Si les souris A et B subissent différentes pressions dans leur environnement, cela peut également aider au processus. Disons qu'un prédateur terrestre des souris, comme le renard roux, a été coincé sur la montagne B après l’apparition de la rivière. La sélection naturelle favorisera des souris B qui auront des traits avantageux pour éviter la prédation par le renard! En revanche, sur la montagne A, il n’y a pas de prédateurs, mais les ressources sont rares! Les souris A qui ont des traits favorables à la compétition seront favorisées par la sélection naturelle.

Une souris isolée

Quand les différences sont irréconciliables

Dans le cas de la spéciation sympatrique, les populations ne sont pas isolées géographiquement. L’histoire se corse donc un peu! C’est un cas où la variété d’habitats ou de ressources sur un territoire, ou encore le type de contraintes environnementales pourraient jouer un rôle. La plasticité phénotypique est également un élément qui est reconnu pour aider à cela.

Prenons l’exemple fictif d’un insecte qui dépend d’une plante hôte A pour compléter son cycle de vie. Si certains individus commencent à se nourrir d’une nouvelle espèce de plantes hôtes B qui vient à maturité un mois plus tard que la plante A, la maturité sexuelle de l’insecte pourrait être décalée chez les groupes qui dépendent de la plante B, ce qui fait que les individus cherchant des partenaires de reproduction pourront seulement se reproduire avec les insectes ayant eu la même plante hôte. Si cela se poursuit génération après génération pendant des milliers d’années, les insectes pourraient tranquillement commencer à former deux espèces distinctes, une qui dépend de la plante A et une autre qui est spécialisée à la plante B.

Quand rien ne joue en faveur de la relation

Il existe aussi un entre-deux : une situation où la barrière géographique n’est pas totale, mais partielle. C’est un cas où le phénomène de spéciation se produirait parmi des individus d’une même espèce répartis sur un très grand territoire, rendant les rencontres difficiles. Si les habitats varient d’une extrémité à l’autre du territoire, des sous-groupes pourraient s’adapter à différents habitats. Si un grand territoire s’étend du nord au sud, par exemple, c’est facile d’imaginer que les individus au nord et au sud n’affrontent pas les mêmes conditions environnementales et seront peut-être favorisés différemment par la sélection naturelle. C’est ce qu’on appelle la spéciation parapatrique.

Crise d’identité résolue?

Dans le cas des rainettes faux-grillon et des espèces apparentées, difficile de savoir ce qui a causé leur spéciation (ça remonte à LONGTEMPS). Par contre, peu importe comment elles ont divergé et qu’elles soient des rainettes faux-grillon boréales ou des rainettes faux-grillon de l’ouest, cette crise d’identité est atténuée par une chose qui ne change pas : elles demeurent menacées à l’échelle provinciale et fédérale. Il est donc essentiel de poursuivre les efforts de protection de son habitat. Tu veux faire quelque chose toi aussi? Découvre ce que tu peux faire sur le site officiel de la rainette faux grillon!

NOTES

*Chez les espèces à reproduction asexuée, c’est une autre histoire. On y reviendra!

**Il y a plus que le concept biologique qui tente de définir le mot « espèce », mais on y reviendra.

***Il y a d’autres types de spéciation, comme la spéciation péripatrique, qui impliquent une barrière géographique, mais pour garder ça simple, on te parle seulement de la spéciation allopatrique ici.

Par Émilie, communicatrice scientifique

Sources images : Benny Mazur, Andrew DuBois, Andy Reago & Chrissy McClarren

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