Coexister gentiment
Partout où on va, on change le paysage autour de nous. Il ne faut cependant pas oublier qu’on partage cet espace avec les quelques 8,7 millions* d’espèces qui habitent sur Terre. Entre humains, on arrive (généralement) à communiquer et à se faire comprendre, mais c’est toute une autre histoire si on essaie de communiquer avec les animaux ou les plantes! Pourtant, on en côtoie à tous les jours : des écureuils dans nos parcs, des plantes dans nos jardins, des araignées sur nos plafonds… En absence de communication, de consultation, de consentement, comment fait-on pour coexister et même interagir?
Alliés ou intrus?
Apprendre à partager notre espace avec des bestioles peut nous faire apprécier des formes de vie fascinantes qui, à première vue, peuvent nous répugner. Ceci, dans la mesure où elles ne nuisent pas à notre santé (à travers des risques de maladies ou de blessures, ou même de se faire voler notre nourriture). Pense à l’araignée sur ton plafond. Dire qu’elle n’a pas sa place dans ta maison parce que c’est chez toi fait abstraction du fait qu’il est normal en nature que plusieurs espèces partagent un même territoire dans la mesure où chacun a son espace et son rôle. D’ailleurs, elle est probablement là parce que tu as d’autres bestioles chez toi. Elle peut t’aider à contrôler leur présence. Ne la blâme surtout pas! Elle n’est pas consciente des notions de propriété qu’on attribue aux terrains et aux objets en tant qu’humains. Et je crois que tu aurais de la misère à lui expliquer même si tu le voulais.
Noble ou égoïste?
Par contre, vouloir donner à manger aux animaux, c’est une autre histoire. Ça peut sembler être gentil, mais en réalité c’est un geste plutôt égoïste. Les conséquences à long terme peuvent être nuisibles autant pour l’animal nourrit que pour l’humain. L’intention derrière peut sembler noble et généreuse. En réalité, c’est notre besoin relationnel et celui de côtoyer la faune qui s’exprime. Nourrir un animal risque de modifier son comportement envers les humains et de l’attirer en grand nombre. Ça peut ainsi entraîner une surpopulation de cette espèce dans le milieu avec tous les inconvénients que cela comporte, dont la transmission accrue de maladies, le plus grand risque de contact avec l’humain ou de collision avec les voitures, l’épuisement des ressources du milieu, etc. De même, l’installation d’une mangeoire à oiseaux est souvent un geste pour l’observation des oiseaux et non pour aider les oiseaux. Si on le fait, cela doit être consciencieusement pour éviter de leur nuire : il faut la remplir fréquemment et la garder propre, entre autres. Une mangeoire, c’est aussi donner un lieu de chasse pour les prédateurs, car c’est un lieu très fréquenté par des proies potentielles.
La valeur égale
Vouloir protéger des animaux c’est un geste que j’encourage. Cependant, il faudrait parfois se questionner sur les raisons qui nous motivent à protéger une espèce plutôt qu’une autre. C’est souvent parce qu’elle est plus mignonne ou parce qu’on la juge « gentille » qu’on veut la protéger. Toutefois, on ne devrait pas se laisser influencer par notre subjectivité. Un animal n’est pas plus important parce qu’il est mignon ou parce qu’il se laisse flatter. On ne devrait pas, non plus, qualifier un animal de méchant ou de moins important parce qu’il est un prédateur qui tue pour se nourrir ou qu’il mord un humain pour se défendre. Les normes comportementales et l’éthique humaines ne s’appliquent pas chez les animaux. Elles ne devraient donc pas servir de standard pour évaluer leur valeur. Au lieu, ne serait-ce pas mieux de protéger une espèce pour son rôle clé dans son écosystème? Ou parce que d’autres espèces dépendent d’elle?
Alors, la prochaine fois que tu vois une araignée sur ton plafond, ou même un scutigère dans ton placard, rappelle-toi qu’ils ne sont pas là pour te faire du mal et sois gentil(le)! Chaque être vivant mérite d’être traité avec respect dans la mesure du possible. Alors, si tu n’as toujours pas envie de les avoir comme colocataires, attrape-les et sors-les doucement dehors au lieu de les écraser!
NOTES
* 8,7 millions est le nombre d’espèces sur la planète selon l’estimation des chercheurs. Cependant, les techniques scientifiques évoluent et l’estimation pourrait, un jour, changer aussi. Malgré cette estimation, nous avons seulement identifié environ 1,2 millions d’espèces jusqu’à présent. Il nous en reste encore beaucoup à découvrir!
Par Philippe, éducateur-naturaliste senior