Les insectes, les pros de la vie en groupe
Dans la nature sauvage, la vie en groupe a plusieurs avantages qu’on connaît déjà. Ça rend plus simple la recherche de nourriture, celle de partenaires, la construction d’un nid ou d’un abri, la sécurité, ça diminue l’effet de la prédation… Vraiment, pourquoi on s’en passerait? Et bien, des insectes, pas plus fous que les autres animaux, en profitent aussi. Les blattes, les gendarmes, des criquets, certaines chenilles qui font de gigantesques tentes de soies, les coccinelles, les pucerons… la liste est longue.
Tu te demandes sûrement pourquoi les plus fameux insectes sociaux ne sont pas dans cette liste? Parce que tous les regroupements d’animaux ne sont pas organisés de la même façon. Certains insectes sont grégaires, comme ceux mentionnés plus haut, on peut alors dire qu’ils sont sociaux, mais d’autres espèces ont tellement exploité l’idée du groupe, qu’on a donné un petit nom spécial à leur comportement communautaire extraordinaire : l’eusocialité. C’est le cas des fourmis, des termites, des abeilles et des guêpes.
C’est quoi ça l’eusocialité? C’est lorsqu’un groupe d’individus de la même espèce ont une organisation de communauté où le groupe est divisé en castes d’individus fertiles (chargés de la reproduction) et infertiles (chargés de nourrir et protéger le groupe). Ensuite, on y trouve aussi plusieurs générations différentes; les soins aux plus jeunes y sont donnés par les plus âgés. Et finalement, les individus partagent entre eux de l’informations et de la matière (comme de la nourriture, par exemple). Quand on rencontre tous ces critères, on parle alors d’insectes (le groupe qui nous intéresse ici*) eusociaux.
Certains « penseurs naturalistes » ont même affirmé qu’une organisation sociale, comme une communauté, transcende les organismes qui la composent. En d’autres mots, lorsque chaque individu travaille pour le bien collectif et non pour lui-même, l’ensemble de ces individus crée un superorganisme (comme une fourmilière).
Dans ces groupes d’insectes eusociaux, on rencontre une structure complexe où les tâches de maintien du groupe sont divisées entre les individus. C’est là qu’on voit apparaître le phénomène de castes (on te parle plus en détail de ça juste ici en prenant comme exemple les fourmis). Ces corps de métiers s’adaptent aux besoins de groupes et donc aux facteurs environnementaux qui viennent faire varier ces besoins. Par exemple, alors qu’une reine guêpe a pondu son premier couvain, les premières ouvrières adultes devront remplir plusieurs rôles : soins des larves, défense du nid, recherche de nourriture. Plus la colonie s’agrandit, plus les ouvrières deviennent spécialisées et délaissent certaines tâches pour se concentrer sur une seule.
Le succès des société bien organisée, où tous les membres du groupe ont leur rôle à jouer, repose sur leur capacité étonnante à résoudre des problèmes. On appelle l’intelligence collective (ou l’intelligence de l’essaim) la capacité des individus à faire converger leur intelligence pour un but commun. Prends par exemple, une fourmi qui découvre une source de nourriture digne de ce nom. Elle rejoint sa colonie et en route vers la fourmilière, elle laisse une trace, un marqueur odorant composé de phéromones**. Cette odeur va ensuite indiquer aux autres fourmis le tracé à suivre pour trouver le butin de nourriture. Ces nouvelles exploratrices laisseront, elles aussi, des phéromones en chemin et lorsqu’il n’y aura plus de nourriture, la trace odorante s’efface avec le temps. Bingo!
Cet exemple nous ramène donc à la source même de la force des « eusociétés » : la communication. Pour assurer une cohésion parfaite dans le groupe, il faut savoir communiquer, comme les fourmis le font lorsqu’elles trouvent un trésor. Il existe chez les insectes un grand nombre de techniques de communication : les signaux olfactifs et/ou chimiques, sonores comme chez les orthoptères, visuels comme la bioluminescence des lucioles. Il servent à des tonnes de choses. Chez les insectes sociaux, être un expert communicateur, c’est un atout de choix.
Les insectes eusociaux, tels que les fourmis et les guêpes, frottent aussi leurs antennes sur celles de leurs consœurs pour échanger de l’informations. Il faut savoir que les antennes des insectes sont pratiquement couvertes de sensors à phéromones et une de leurs principales fonctions est la communication.
Chez les abeilles, on danse. Les abeilles butineuses, de retour dans la ruche après une sortie de découverte, transmettent à celles restées dans la colonie l’emplacement de sources intéressantes de nectar et de pollen. Une série de pas et de mouvements d’ailes est suffisante pour donner la distance et la direction du talus de fleurs le plus près. Avec une telle communication, la ruche est plus efficace et les chances de survie de chacun sont plus grandes. (On observe dans ce vidéo des abeilles danser et faire le mouvement en 8.)
L’information peut aussi être transmise de manière orale. Non, non. Les insectes sociaux n’ont pas développé de langage, ils utilisent plutôt la trophallaxie a.k.a la régurgitation de nourriture dans la bouche de son ami! Miam! Ces insectes sont munis de deux estomacs, un pour leur consommation individuelle de nourriture et le second, le jabot social, pour transporter de la nourriture pré-digérée qui est destinés aux autres membres de la colonie. Lorsque le transfert se fait, des informations sur la source de la nourriture sont aussi données. 2 pour 1!
Les comportement des insectes eusociaux sont souvent considérés, au point de vue évolutif, comme un premier pas vers une encore plus grande complexification de la structure sociale. On dit que l’agrégation, en général, assure des interactions entre les individus et permet le développement de comportements encore plus structurés. Encore plus des castes? Des individus avec des morphologies encore plus spécialisés? Des pas de tangos dans la danse de abeilles, qui sait? Ces insectes, déjà extraordinaires, n’ont pas fini de nous étonner.
NOTES
* Il n’y a pas seulement des groupements d’insectes qui peuvent être qualifiés d’eusociaux. On trouve chez le rat-taupe nu (un charmant mammifère africain, comme son nom l’indique, à mi-chemin entre un rat et une taupe et dépourvu de poil) aussi sont eusociaux, vivant en colonies complexes dans des réseaux souterrains.
** Les phéromones sont une substance chimique que les insectes produisent pour envoyer des messages à leur congénères. Les papillons mâles les utilisent pour signaler leur présence aux femelles, par exemple. Un peu comme les plantes lorsqu’elles communiquent entre elles.
Par Anne-Frédérique, éducatrice-naturaliste senior
Sources images : PxFuel, Vincente Mirabet, Ryan Hodnett