La sélection artificielle : Frankenstein vs les petits agneaux
On va t’expliquer ici le lien entre le célèbre monstre du docteur Frankenstein et les adorables petits agneaux d’élevage qui gambadent dans les champs. C’est quoi le rapport? C’est tellement simple! Les deux sont issus de transformations induites par les humains.
Le bon docteur Frankenstein voulait créer une nouvelle espèce et découvrir le secret de la vie et de la mort… (Malheureusement pour lui, ça ne s’est pas passé comme il l’avait prévu…)* Et les petits agneaux des élevages sont nés suite à un choix conscient d’un humain qui découle d’un concept préhistorique** : la sélection artificielle. Attention, on ne te parle pas de manipulation génétique aves des pipettes et des éprouvettes, mais bien du choix des géniteurs (généralement dans les élevages) pour leurs caractères qu’on veut transmettre à la génération suivante.
Par exemple, dans un élevage de moutons, si on choisit pour l’accouplement le bélier avec la meilleure santé et la plus belle laine et la brebis qui produit le plus de petits, on a des fortes chances d’avoir pleins de petits agneaux forts et bien laineux. Avec des mots scientifiques, on pourrait définir la sélection artificielle comme un moyen pour les humains de contrôler la reproduction d’animaux en sélectionnant certains phénotypes*** qui présentent des traits particuliers. On augmente ainsi la fréquence de ces traits, par hérédité, dans les générations suivantes. Ce sont donc les préférences des humains qui dictent la transmission de caractéristiques chez ces animaux. (À l’instar du pauvre docteur Frankenstein qui voulait jouer à « inventer des espèces », on fait pas mal la même chose.)
Pour bien comprendre la sélection artificielle, il faut l’opposer avec la sélection naturelle. Dans les phénomènes qui composent cette dernière, les individus avec des caractéristiques favorables à une meilleure survie seront sélectionnés. Les facteurs environnementaux (comme la compétition, les perturbations, le milieu naturel) exercent une pression sur les populations (sur les individus) et influencent la sélection « par la nature » ou « de manière naturelle ». Ainsi, avec le temps, les individus seront mieux adaptés pour survivre grâce à leurs caractéristiques. C’est un processus qui se fait sur des centaines d’années et ça se fait sur des populations entières, donc à très grande échelle. La sélection naturelle permet alors une grande biodiversité dans la nature, incluant une diversité génétique permettant à la sélection de se poursuivre.
Dans la sélection artificielle, tout est orienté vers l’humain. C’est donc nous qui exerçons une pression sur les individus et non pas, la nature. Les caractères sélectionnés ne sont généralement pas des traits favorables à la survie, mais bien ceux souhaités par les humains, pour un objectif précis, qui souvent a des critères économiques. Parfois, en quelques mois seulement, on peut créer de nouvelles espèces (ou sous-espèces, ou variétés) permettant une grande rentabilité. Il en résulte des élevages, avec les traits souhaités, oui, mais consanguins et avec un bassin génétique restreint.
Après ce portrait plus ou moins reluisant de la sélection artificielle, tu te demandes probablement pourquoi on s’amuse à imiter le docteur Frankenstein avec nos animaux d’élevage (et nos animaux domestiques)! La plupart du temps, c’est une question de rentabilité, de productivité et de demande. On choisit donc des traits qui ont de la valeur (goût, productivité, grosseur, etc.). Par exemple, dans un élevage de poulets, on souhaite produire des œufs, de la viande et des nouveaux poulets. On va donc choisir des individus de variétés et des types différents qui sont performants et/ou qui sont bien en chair et/ou qui sont productifs (qui font beaucoup de petits). Ces poulets vont se reproduire ensemble (c’est la sélection artificielle croisée). Quand on arrive à notre but après quelques générations, on va maintenir notre élevage « mieux et plus », en reproduisant nos poulets ensemble.
Alors, quand j’achète ma douzaine de « gros œufs » à l’épicerie, c’est parce que quelque part, quelqu’un a choisi les poulets qui faisaient les plus gros œufs. Et parce que je continue d’acheter les mêmes « gros œufs », les éleveurs continuent de choisir les individus reproducteurs dans leur élevage, plutôt que de laisser la nature faire son travail.
On fait la même chose avec nos animaux domestiques, avec les abeilles en apiculture et avec les plantes. Penses à l’épi de maïs que tu as dégusté à l’épluchette en août dernier. En réalité, un épi de maïs naturel non sélectionné, c’est petit et ça ressemble à du blé…
Bien que du point de vue économique, la sélection artificielle peut avoir des avantages importants, les désavantages sont notables. En plus des problèmes de santé dus au bassin génétique réduit des élevages et à la forte consanguinité****, pour faire une sélection efficace, il faut souvent y aller par expérimentation et ça ne se passe pas toujours comme prévu (parles-en à Frankenstein, voir!). Et finalement, comme lorsqu’on parle de brassage génétique ou de fécondation in vitro, la redoutable question de l’éthique qui se pose. Au nom de la rentabilité, les humains devraient-ils intervenir dans les processus de sélection qui devraient s’opérer de manière naturelle? Est-ce qu’on devrait créer plein de petits Frankenstein ou bien laisser les poules faire des œufs de toutes les grosseurs? C’est un débat ouvert, écris-nous!
NOTES
* ***SPOILER ALERT*** Pour ceux qui n’ont jamais lu le classique de Mary Shelley, Frankenstein; or, the Modern Prometheus, il faut savoir que ce n’est pas une histoire jojo. La création du talentueux docteur, à peine née, hideuse, violente et mal adaptée, est rejetée immédiatement. Elle tombe dans un tourment qui alimente un désir fou de venger son existence malheureuse. Commence alors une infernale et sanglante poursuite à travers le globe, où la créature cherche son créateur, détruisant, cognant, brutalisant et tuant tout sur son passage. Le monstre retrouve enfin Frankenstein (le docteur) et lui demande de créer une madame monstre, question de ne plus être horriblement seul. Le docteur, horrifié par la possibilité d’avoir créé une abominable nouvelle espèce de monstre, refuse. La créature, aveuglée par la haine de son créateur, tue alors le frère de Frankenstein, son meilleur ami, sa femme et on en passe… Le sang gicle et les tripes revolent. Frankenstein, n’ayant plus de véritable raison de vivre puisque tous ceux qu’il aimait sont morts, se promet de se venger à son tour et poursuit sa création jusqu’en Antarctique, où il tombe dans l’eau glacée et meurt. Sa créature, apprenant la mort du docteur, est finalement rongée de remords et disparait pour toujours dans l’étendue de glace. Donc, tu vois pourquoi on disait que ça ne s’est pas passé comme l’avait prévu Frankenstein.
** Pourquoi préhistorique? La sélection artificielle des plantes et des animaux clés dans les sociétés humaines (comme le riz et les chiens par exemple) est une pratique qui existe depuis la préhistoire!
*** Un phénotype, c’est, simplement dit, un ensemble de caractéristiques physiques. On l’oppose au génotype, qui rassemble les caractères génétiques des individus.
**** Remarque qu’on ne t’a pas énuméré les problèmes de santé qui peuvent résulter de l’élevage artificiel. Il existe des milliers d’articles en ligne sur le sujet. Il suffit de quelques clics pour tomber sur les cas extrêmes des vaches Blanc bleu belge ou des cochons piétrains qui sont tellement enflés que leur squelette fait limite l’affaire pour les supporter, souvent montrés couchés sur le flanc, incapables de se tenir debout. Les documentaires chocs sont aussi nombreux. La BBC a publié en 2009 un documentaire controversé Chiens de race, les maîtres fous (Pedigree dogs exposed), sur les races d’élevage canin. On t’invite à faire tes recherches.
Par Anne-Frédérique, éducatrice-naturaliste senior
Sources images : Pixabay